Électrique, crises mondiales et conséquences

Électrique, crises mondiales et conséquences

Entre la disparition de certains d’entre eux sur les véhicules électriques et les pénuries et hausses de coûts des matières premières qui se superposent les unes aux autres, le marché de la filtration se fait indiscutablement secouer. Ici, comme ailleurs, les équipementiers font preuve d’une agilité sans faille. Exemples.

Si, selon l’Association des Importateurs de Véhicules au Maroc (AIVAM), les ventes de véhicules à motorisations alternatives (électriques ou hybrides) progressent doucement sur le territoire avec 3,2 % de parts de marché en 2021, nous sommes encore loin, très loin, de l’Europe (plus de 20 % de PDM). La faute aux coûts élevés de ces modèles, mais aussi à des infrastructures quasi inexistantes : seules 80 bornes de recharge sont installées dans le Royaume du Maroc…dont, selon nos confrères de l’Opinion, un tiers ne serait pas opérationnel ! Pourtant, de leur côté, les équipementiers, eux, sont déjà passés à l’étape suivante. En cause, un marché totalement déséquilibré, d’un pays à l’autre, sur la question des motorisations dites « vertes », et de leur développement. Une chose est cependant actée : si l’on s’en tient aux véhicules électriques purs, les filtres à huile et autres filtres à carburant disparaissent totalement du paysage. Une gageure pour les équipementiers qui, jusque-là, avaient bâti leur business sur ces pièces. Il y a aura donc un avant et un après thermique, que les marchés soient matures sur le sujet ou totalement novices. 

En revanche, si les avis de chacun peuvent diverger quant à l’avenir « réel » de l’électrification automobile, un point est commun à tous : une réorganisation, a minima, sera nécessaire et le filtre d’habitacle pourrait bien s’y positionner en produit charnière. C’est le constat que fait d’ores et déjà Mahle : « Le changement est évident et si nous examinons la gamme de filtration, nous pouvons déjà voir environ 200 filtres d’habitable Mahle Aftermarket pour les véhicules électriques, 80 filtres à huile et à carburant pour les véhicules hybrides et 70 filtres à air pour les véhicules à pile à combustible ou à propulsion hybride. Oui nous verrons une diminution des filtres à carburant, par contre il y aura une augmentation des filtres pour les véhicules à pile à combustible et des filtres intérieurs, et nous constatons une demande accrue pour le confort du filtre d’habitacle dans les véhicules plus récents. Les véhicules électriques ont besoin d’autres pièces de rechange que les moteurs à combustion, c’est certain. Naturellement, cela affectera le portefeuille de filtres. Mahle s’adaptera au changement en adaptant progressivement le portefeuille Aftermarket à la flotte existante. Nous verrons des demandes supplémentaires dans la gestion thermique et la mécatronique en particulier et nous nous concentrerons sur le renforcement de cette activité », explique ainsi Valérie Batisse, Directrice Commerciale Export. 

L’habitacle devient moteur

Cette « demande accrue pour le confort du filtre d’habitacle » à laquelle Valérie Batisse fait allusion est loin d’être une vue de l’esprit. Et déjà, certains équipementiers en récoltent les fruits. Pas à cause de l’émergence – parfois à marche forcée – des véhicules électriques, non, mais plutôt grâce…à la crise sanitaire ! « J’ai presque 30 ans d’ancienneté dans la filtration, je n’ai jamais vu d’aussi belles années que depuis le Covid ! Nous n’avons jamais autant fabriqué, nous n’avons jamais autant vendu, nous n’avons jamais eu autant de progression et de chiffre d’affaires. Au moment où je vous parle ma chaîne de production « habitacle » travaille en trois-huit et je n’ai jamais vu cela non plus ! Il y a eu une véritable prise de conscience sur le filtre d’habitacle avec le Covid et ceux qui ne changeaient pas leur filtre d’habitacle avant se sont mis à le changer, et certains le changent même deux fois plus qu’il n’en faut ! », s’enthousiasme Riad Abdelkefi, Directeur général de Solaufil France (cf. encadré). Même constat, pour Corteco qui profite largement de sa position de spécialiste du filtre d’habitacle depuis le début de la crise sanitaire, comme le souligne Pierre Baulu, son Directeur commercial : « Avant, le filtre d’habitacle était considéré comme un filtre gadget. Aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas ». Et cette prise de conscience sur l’habitacle devrait justement s’accentuer avec les véhicules électriques qui, pour certains, disposent non pas d’un, mais de deux filtres d’habitacle, à l’instar du nouveau modèle de Tesla. Pour Corteco en l’occurrence, le challenge futur n’est donc pas de trouver des alternatives aux filtres qui disparaitront des véhicules, mais bien de continuer à exister au milieu d’une concurrence qui va assurément se renforcer dans les années qui viennent : « Pour nous, l’enjeu va être de rester le premier équipementier du filtre d’habitacle, car la compétition va être rude. Ceux qui ne vont plus pouvoir vendre de filtres à huile et à carburant vont nécessairement aller aussi vers l’habitacle. Cela se traduit par le fait de toujours travailler nos gammes pour être plus pertinent et continuer à garantir notre qualité. Nous ne cherchons pas à être les plus populaires ou les plus diffusés mais nous restons concentrés sur nos focus qualité et largeur de gamme », explique Pierre Baulu. 

Sortir de son pré-carré…peut-être !

C’est un fait : « Est-ce qu’il y a des filtres sur un véhicule électrique ? Oui ! Nous sommes en train de découvrir qu’il y a un filtre sur la boîte de vitesse, peut-être aussi sur le système de freinage, plus sec donc plus émetteur de particules nocives qu’il va falloir filtrer, que sur la nouvelle Tesla qui vient de sortir aux USA, il y a deux filtres à air à charbon actif et deux d’habitacle, et qu’avec ces 4 filtres là, nous ferons plus de chiffre d’affaires qu’avec les quatre filtres qui sont aujourd’hui présents sur un véhicule diesel !… », estime Riad Abdelkefi. Pour Solaufil, donc, les projections sur « l’explosion » du véhicule électrique et, en toile de fond, la disparition des véhicules thermiques, n’ont rien de bien effrayant pour son business. Capables d’une agilité incroyable, les équipementiers ont prouvé depuis que le moteur à combustion existe, qu’ils peuvent sortir à tout moment de leurs prés-carrés. D’ailleurs, la plupart envisagent déjà de réorienter leurs activités vers d’autres types d’applications comme le PL, les engins de TP ou agricoles, l’hydraulique, l’industrie… Car à bien y regarder, si tout le monde – y compris nous – parle du véhicule électrique depuis des années, quelque chose qui n’a pas le même impact d’un pays à l’autre, d’un marché à l’autre », estime Riad Abdelkefi. 

Un millefeuille de crises 

En revanche, certains événements ont, à date, beaucoup plus d’impacts que l’avenir, incertain, de l’électrique. En l’occurrence, après la crise sanitaire dont les équipementiers relèvent à peine la tête, la guerre est venue ajouter une nouvelle couche d’incertitudes à la couche d’incertitudes ! Hausses des coûts des matières premières et pénuries n’en finissent plus, ce qui impacte fortement les acteurs de la filtration sur le marché de la rechange et, par ricochets, leurs clients. Premier élément à venir jouer les trouble-fêtes : la hausse des matières premières. Un exemple édifiant : l’acier. Avant le Covid, le cours de la tonne d’acier était évalué entre 550 et 750 dollars selon les qualités du matériau. Aujourd’hui, le cours est situé à 1 800-1 900 dollars la tonne… Et le chiffre continue d’augmenter d’autant plus avec la guerre entre la Russie et l’Ukraine qui sont les deux plus gros importateurs d’acier au monde ! Deuxième élément préoccupant : la pénurie de bois, dont l’un de ses dérivés, le papier, est essentiel à la fabrication des médias filtrants. Les prévisions pour 2022 ne sont guère encourageantes et prédisent une hausse supplémentaire de 15 à 25 % sur le prix du papier ! Sans compter la flambée du pétrole qui impacte les dérivés d’hydrocarbures, les coûts de transport qui atteignent des sommets (selon l’indice World Container, les prix des conteneurs ont augmenté de 351 % depuis 2020. Rien de bien enthousiasmant donc. Alors, avant de songer à se réinventer pour faire face aux modifications de technologies qui ne manqueront pas d’intervenir sur le marché, les équipementiers font surtout face aux urgences. « Je pense que 2022 va être une année charnière pour l’Aftermarket et pour la pièce détachée car nous allons vendre seulement celle qui est disponible. Et puis il y a une dérive énorme sur les prix. Avant nous augmentions nos tarifs une fois par an. Aujourd’hui nous sommes obligés d’augmenter au moins deux fois parce que les hausses de prix n’en finissent plus d’une semaine sur l’autre, même sur des choses qu’on ne soupçonnait pas. Nous répercutons donc ces prix à nos clients, mais avec un léger décalage parce que nous avons du stock et que nous continuerons encore de stocker autant que faire se peut pour faire face aux hausses qui vont encore avoir lieu », dévoile Riad Abdelkefi. La stratégie ? Continuer d’acheter la matière nécessaire à la production des filtres, même si elle est devenue hors de prix, pour continuer de produire, coûte que coûte, et ainsi être en mesure de continuer à livrer les clients, voire à pallier les pénuries éventuelles qui ne manqueront pas d’intervenir progressivement chez les uns et les autres si les crises se poursuivent. Pour Pierre Baulu : « Nous avions réussi à retrouver une activité quasi normale après l’arrêt de nos usines durant la crise sanitaire, sachant que ces dernières ne peuvent pas repartir soudainement en une journée. La guerre, aujourd’hui, nous oblige encore à recommencer de zéro avec de nouvelles hausses de prix, des délais de fournisseur que l’on ne maitrise pas… Bref il faut trouver des alternatives. Et pour nous, l’alternative prioritaire, c’est le sourcing. Nous avons donc dû multiplier nos sources d’approvisionnement pour pallier les pénuries. La seconde alternative a été de trouver des substituts aux composants que nous utilisons dans nos produits », précise-t-il. L’histoire ne dit pas combien de temps cette situation sera tenable pour ces équipementiers résilients mais pas magiciens. 

Un marché qui tend à se recentrer vers les fabricants ?

Reste une petite lueur d’espoir : le malheur des uns fait parfois le bonheur des autres. Ainsi, les « importateurs-emballeurs », souvent tentés par le low cost et qui avaient tendance à ache- ter leurs produits en Chine sont de moins en moins nombreux à venir grignoter des parts de marché aux équipementiers qui ont pignon sur rue. En cause : le coût astronomique du trans- port, mais aussi ses délais totalement incertains. Moralité : « Ces acteurs qui achetaient en Chine se tournent plus vers le continent européen car ils ne cherchent plus à avoir de la rentabilité ou des grosses marges. Ils préfèrent donc acheter en Turquie ou en Tunisie par exemple, même si c’est un peu plus cher qu’en Chine, pour s’affranchir des transports », estime Riad Abdelkefi. Pour les équipementiers, par les temps qui courent, gar-

der la main sur sa fabrication est donc un avan- tage non négligeable. Même si rien n’est simple. N’empêche : beaucoup continuent malgré tout d’élargir leurs gammes de filtres, à l’instar de Corteco qui s’apprête à mettre sur le marché de nouveaux filtres anti-allergènes ainsi que des filtres destinés, pour la rechange, aux trois modèles de Tesla. « Finalement, toute cette situa- tion est parfois difficile à vivre, mais c’est aussi un véritable challenge car quoi qu’il se passe, nous allons désormais devoir changer toutes nos façons de procéder, nous réinventer, et ce, très en amont de notre production… », conclut Pierre Baulu.

AMBRE DELAGE

 

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