Fouad Belemlih, Président directeur général d’AD Maroc

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« AD Maroc dispose de tous les moyens, humains, matériels, financiers, pour lui permettre de s’adapter à la situation actuelle du marché et à son évolution »

Vous dirigez AD Maroc et votre histoire se confond avec l’entreprise, pourriez-vous nous en dire plus ? 

J’ai intégré la société, il y a 40 ans, une société française, qui existait depuis le démarrage de l’automobile au Maroc, et qui est devenue marocaine dans les années 1975. Quand je suis arrivé, c’était une « boutique » de 7 personnes, dans le centre de Casablanca, notre siège historique. Il fallait transformer cette petite boutique en entreprise, lui donner une organisation, des procédures, des ressources humaines etc. Cette transformation m’a captivé et je ne suis pas allé voir ailleurs !  Et c’est aussi en ce sens que nous avons rejoint l’Autodistribution.

Pourquoi avoir choisi d’adhérer à l’Autodistribution ?

En 1996, le Maroc commençait à s’ouvrir et les barrières douanières s’estompant progressivement, la concurrence s’est durcie énormément. Il nous fallait nous démarquer et dépasser notre rôle de distributeur de pièces automobiles et plus généralement du domaine de la réparation et de l’entretien. Nous avions déjà opéré une diversification en créant une filiale industrielle, en partenariat avec Monroe.

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L’entreprise a donc fabriqué des pièces automobiles ?

Nous souhaitions ne pas être totalement dépendants de l’importation, le chiffre réalisé par cette activité a atteint jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires global de l’entreprise. Et nous vendions nos amortisseurs non seulement au Maroc, mais aussi en Algérie, en Tunisie, en Lybie, conformément aux accords bilatéraux qu’avait contracté le Maroc avec ses voisins. Pendant 15 ans, nous avons pratiquement été en situation de monopole avec 90 % du marché, puis nous avons été confrontés à la petitesse de notre marché, forcément limité, puisque nous ne pouvions pas exporter dans les pays où Monroe était déjà présent, afin de ne pas être en concurrence avec la maison mère.

Comment s’est terminée cette aventure industrielle ?

Nous avons simplement décidé d’arrêter et ce, en pleine intelligence avec Monroe. Nous ne pouvions pas et ne voulions pas investir lourdement dans l’automatisation des process, dans l’achat de machines très coûteuses, seule manière d’être compétitifs sur d’autres marchés. Face aux grands groupes, l’enjeu s’avérait trop risqué. Nous nous sommes repliés sur notre activité propre tout en mettant fin progressivement à l’activité industrielle. Mais parallèlement, nous nous étions déjà engagés avec l’Autodistribution.

L’Autodistribution correspondait à un souhait d’ouverture, de croissance ?

Face au dumping qui commençait à venir, à toutes les formes de concurrence qui se présentaient, nous avions besoin d’un partenariat fort qui nous permette de mieux appréhender l’avenir, dans une politique de réseaux, qui nous facilite, en outre, l’accès à de nouveaux fournisseurs. Avec l’Autodistribution, nous bénéficions d’outils de structuration de l’entreprise, permettant de brûler des étapes et d’aller plus loin. Les process que nous avons mis en place, l’informatisation, tout cela a inspiré par la suite, la concurrence.

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Aviez-vous été « démarché » par d’autres groupements internationaux ?

C’est nous qui sommes allés voir l’Autodistribution et non l’inverse, et, à l’époque, personne d’autre ne s’intéressait à ce marché, un petit marché très verrouillé, dans lequel les équipementiers contractualisaient des accords avec des distributeurs au nombre limité et quasi exclusifs. Pour accéder à Valeo, par exemple, la seule porte s’appelait l’Autodistribution, comme nous l’avons appris sur le salon Equip Auto, où nous avons rencontré Pierre Farsy puis Pierre Romon et c’était parti !

A l’époque, et même encore maintenant, dans une moindre mesure, le Maroc n’était pas enthousiaste face aux groupements ou aux réseaux, cela n’a pas dû être facile ?

Nombre de personnes m’ont dissuadé mais je tenais au concept et je ne voulais pas regretter, après, de ne pas l’avoir tenté. Par ailleurs, j’ai opté non pas pour une enseigne nationale, mais internationale, il s’agissait d’AD Maghreb, qui comprenait en plus l’Egypte. Le concept s’avérait plus solide en termes de volume. Nos deux premières années au Maroc ont été florissantes mais nous avons été contrariés dans nos projets par la fermeture de l’usine qui représentait, d’une part, des coûts et, de l’autre, une perte de chiffre d’affaires importante. Sans compter le temps que cela nous prenait. Nous avons vraiment relancé la machine en 2007, – une fois la question de l’usine soldée et malgré les problèmes de l’Autodistribution France (affaire FineList, ndlr) – en collaboration avec l’Autodistribution.

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Comment s’est traduit ce nouveau départ ?

Si nous avons rejoint l’Autodistribution, c’était dans un objectif de croissance et de développement importants et nécessaires pour la pérennité de l’entreprise. C’est dans cet esprit que nous avons investi et que nous nous sommes investis dans ce nouveau challenge. Soit on arrêtait et ce n’était pas notre choix, soit on continuait et on s’en donnait vraiment les moyens. D’où l’achat du terrain sur lequel

nous sommes et la construction de nouveaux bâtiments, la constitution de stocks importants, et ce dans un petit marché pas encore prêt pour ce type de concept. Sans les contraintes de taille et d’investissements qui étaient les nôtres pour offrir la qualité et le service attendus par la clientèle, la concurrence s’est vite présentée sous un jour déloyal. Mais malgré cela, nous avons continué à investir dans des outils et des moyens pour être aussi compétitifs que le petit importateur avec un bon taux de service.

Quelles actions avez-vous mises en place alors ?

Cela s’est traduit par deux programmes d’investissement, le premier, en 2012, a consisté à acquérir le terrain et les équipements nécessaires pour construire notre plate-forme nationale. Le second, en 2014, avec le soutien de l’ANPME (Agence nationale pour la promotion de la PME), qui a validé notre projet, s’est concrétisé par l’extension de notre plate-forme (et son environnement, digitalisation, catalogue électronique etc.), la remise à nouveau de notre site historique qui est devenu notre point de vente pilote et la création d’un centre de formation AD Académie. 

Même avec un soutien du ministère, cela a représenté un risque financier, comment ont réagi vos fournisseurs ?

5Dans l’ensemble, les équipementiers m’ont largement soutenu, même si quelques-uns se sont montrés un peu trop frileux ou pressés pour m’accompagner comme je l’aurais souhaité. Ce soutien m’a renforcé dans ma volonté d’investir dans cet outil pour que celui-ci soit prêt lorsque le marché décollerait vraiment et durablement au Maroc. Je savais que nous aurions besoin d’une plate-forme logistique bien équipée, informatisée, avec des extensions de surface potentielles programmées. C’est alors que la société ‘’Afric Invest’’ société de capital développement marocain s’est intéressée à nous, et nous a rejoints pour une participation minoritaire, nous permettant d’accélérer le processus et de mettre en route l’outil dans les meilleures conditions, puisque tous les investissements avaient été faits. En fait, le fonds a investi dans le développement opérationnel de l’activité et l’accélération de la croissance et du retour sur investissement.

Comment se déroulent vos relations avec AD France ?

Nous entretenons d’excellentes relations avec AD France, avec Stéphane Antiglio, le président du directoire de l’Autodistribution et son équipe, avec lesquels nous construisons un partenariat fort, productif et rentable. Ils nous accompagnent dans notre développement et nous sommes heureux qu’ils aient une participation dans AD Maroc. Nous avons encore beaucoup à faire ensemble pour donner sa dimension à AD Maroc. Je remercie au passage Christian Amirault pour sa présence lors de notre salon.

Aujourd’hui, si vous deviez définir votre entreprise, que diriez-vous ?

AD Maroc dispose de tous les moyens, humains, matériels, financiers, pour lui permettre de

s’adapter à la situation actuelle du marché et à son évolution. Par ses choix stratégiques, c’est une entreprise qui contribue à la structuration du marché, ne serait-ce que par sa vision à long terme, face à une double concurrence.

Qu’entendez-vous par double concurrence ?

1La distribution indépendante est confrontée d’une part à la concurrence des concessionnaires, mais surtout à l’informel qui tire le marché par le bas. A ceci s’ajoute le fait qu’aucun encadrement ne structure le métier de garagiste, qui manque de la professionnalisation nécessaire pour contrer ces concurrences. L’automobiliste a le choix entre le concessionnaire qui est cher, et le garagiste du coin qui, souvent, n’est pas fiable. La situation a même empiré depuis 1996. Nous avons grand besoin de professionnalisation dans la réparation et l’entretien automobiles de manière à ce que le garagiste soit vraiment le prescripteur, soit sur le devant de la scène. Actuellement, dans la chaine de valeur du marché de l’après-vente indépendante, le garagiste est malheureusement celui qui représente le maillon le plus faible !

Vous parlez de la promotion de la pièce d’origine ou de qualité d’origine ?

Un fournisseur digne de ce nom attache beaucoup d’attention à son réseau d’importateurs et à la qualité de service comme des pièces et des accessoires qu’ils commercialisent. Souvent, hélas, les fournisseurs, soucieux de faire du chiffre, livrent des distributeurs qui ne sont pas très professionnels et n’apportent pas le même soin. Comme c‘est l’automobiliste qui choisit sa pièce puis la fait installer par son garagiste, celui-ci ne génère que le chiffre d’affaires de sa main d’œuvre, ce qui ne lui permet pas d’investir dans son équipement ni dans la formation, et on se retrouve avec des professionnels qui le sont de moins en moins. Nous avons vraiment un Maroc à deux vitesses, dans la pièce automobile aussi, et notre ambition, chez AD Maroc, c’est de réussir la construction de son réseau de garages, qui professionnalisera les garagistes et montrera peut-être la voie à suivre pour les autres. Je l’espère car il s’agit de leur survie.

La mise en place d’un réseau de garages mobilise beaucoup d’énergie, comment êtes-vous structuré pour cela ?

Nous avons construit l’entreprise autour de pôles constitués, avec des directions, commerciale, Exploitation, logistique etc. et bien sûr support et informatique. Parallèlement, nous avons mis en place une direction de projets que j’ai confiée à mon fils et qui traite de ces développements, à savoir la constitution du réseau de garages, la création de plates-fores régionales et bien sûr le développement d’un réseau de distributeurs AD, qui animera son propre réseau de Garages AD, puis Garages Expert etc. C’est désormais notre principale préoccupation.

En clair, vous envisagez un maillage du territoire ?

Nous disposons d’une plate-forme nationale d’une capacité de stockage de 10 000 m² et aussi de notre point de vente historique de 800 m². Autour de cela, nous comptons bien voir naître des plates-formes régionales qui seront autant de points de repère qualité pour les automobilistes et surtout les garagistes. C’est une arme importante et complémentaire dans la lutte contre l’informel, que mène l’Etat et le soutien de l’ANPME nous aide beaucoup en ce sens. Nous nous inscrivons dans cette logique de professionnalisation que mène, par ailleurs, l’Etat, ce qui représente pour nous une vraie opportunité de promotion de la filière professionnelle.

Où trouvera-t-on ces plates-formes logistiques ?

Nous avons envisagé de créer 5 à 6 plates-formes dans les principales grandes villes du Royaume. Tout n’est pas encore défini mais nous finalisons le projet. Toutes les plates-formes appartiendront à AD Maroc, qui alimenteront, animeront un certain nombre de revendeurs sous enseigne Autodistribution, pour que le réseau soit bien identifié et, autour de cela, des garages AD aussi sous enseigne.

Comptez-vous mettre en place des animateurs réseaux, ou chaque plate-forme disposera des siens ?

Nous avons créé une filiale, appelée Agréa Auto, qui prospectera, signera les accords cadre, apportera le business, animera, qui sera totalement dédiée à l’élaboration de ces réseaux. La démarche a été envisagée dans sa globalité. Néanmoins, un projet de cette sorte doit être soutenu aussi par les fournisseurs, et ce qui me navre, c’est que je remarque que le Maroc est encore considéré par eux, souvent, comme un pays tiers-mondiste ou ne constituant pas une priorité. S’ils croient en nous et qu’ils partagent notre vision, alors, qu’ils s’engagent sur du moyen terme, participent à l’assainissement du marché et misent sur les professionnels qui s’engagent dans la voie de la qualité du produit et du service. On ne parle encore trop que des ventes et du volume à court terme.

Le marché marocain ne semble pas encore crédible aux yeux des équipementiers internationaux, pensez-vous ?

En ne nous facilitant pas la tâche dans la professionnalisation des garages, les fournisseurs facilitent d’une part l’entrée en masse des produits chinois et coréens, et d’autre part le déploiement des réseaux constructeurs. Les concessionnaires sont devenus

très agressifs, et ils peuvent l’être parce que nous manquons de structure à mettre en face. Le réseau des indépendants ne se veut d’ailleurs pas concurrent des constructeurs mais plutôt complémentaire, puisqu’aucun constructeur ne peut prétendre satisfaire les besoins du parc circulant ! Et eux aussi ont besoin de bénéficier de garages structurés.

Qu’attendez-vous des équipementiers aujourd’hui ?

Il semble essentiel qu’ils fassent un « état des lieux », qu’ils comprennent le marché dans lequel nous évoluons, en évitant de confier la responsabilité de ce pays à un commercial qui ne le connaît pas, ou en dictant des politiques pour le Maroc de leur siège, à des milliers de kilomètres de là… Le Maroc mérite de vrais managers locaux qui sélectionnent, en connaissance de cause, leurs distributeurs et optent pour la qualité. Il faut qu’ils apprennent à vendre à travers nous et à ne pas nous considérer comme de simples consommateurs. Pour établir un tarif, il faut une bonne connaissance d’un marché, et pour satisfaire les 3,4 millions de clients qui sont les véhicules, il faut passer par un bon professionnel et travailler ensemble dans une logistique adaptée, une disponibilité des pièces, une réflexion sur la composition du parc, etc.

Vos ambitions sont légitimes mais comment comptez-vous alimenter en personnel qualifié les réseaux que vous évoquez ?

Nous sommes conscients des besoins en personnels qualifiés, c’est pourquoi nous avons fondé l’Académie AD qui peut accueillir une trentaine de personnes en même temps. Parallèlement, nous avons un partenariat avec l’office national de la formation professionnelle et nous n’excluons pas d’obtenir un agrément avec le ministère pour former, non seulement, les personnels dont nous avons besoin, et aussi de former des mécaniciens et des carrossiers d’autres entreprises. En termes de middle management, nous avons mis au point des outils permettant à chacun de pouvoir répondre à toutes les situations, outils auxquels nous ajoutons des formations professionnelles effectuées ici. 

En dehors des Garages AD, envisagez-vous de développer aussi les autres enseignes du groupe Autodistribution ?

Progressivement, nous développerons aussi la carrosserie et le poids lourd. Tout se met en place petit à petit. Nous comptons aujourd’hui quelque 38 000 références en stock et nous envisageons d’atteindre les 60 000, d’ici à 3 ou 4 ans, stockées ou référencées. Pour la carrosserie, nous pouvons aussi être dépannés par Cora, en France.

Culturellement, « tous les marocains naissent mécaniciens », comme on dit, ne craignez-vous pas que ce sentiment nuise à la mise en place d’une professionnalisation jugée contraignante ?

Si nous exerçons ce métier et que nous comptons le poursuivre, nous n’avons pas le choix ! il faut évoluer ou disparaître. Cela signifie, équiper, investir, former. Pour un garagiste, mettre un panneau aux couleurs d’un réseau n’est pas naturel, nous le reconnaissons, et c’est pourquoi, nous mettons autant de moyens, notamment humains pour accompagner cette mutation. Nous allons créer l’environnement Autodistribution pour le garagiste comme pour l’automobiliste de manière à présenter une alternative fiable au constructeur. Il faut savoir aussi que les marocains apprécient une enseigne, une marque en ceci qu’elle leur offre la possibilité d’avoir un recours. Le garagiste a besoin d’être soutenu surtout qu’il est mis en concurrence avec l’automobiliste lui-même. Le gouvernement a du budget pour lui venir en aide mais sans relais, cela s’avère difficile. C’est pourquoi, nous devenons « agrégateur » et mettons en place les conditions de professionnalisation des garages avec l’aide de l’Etat.

Dans un autre domaine est-ce que la pièce d’occasion, rénovée ou remanufacturée peut aussi être une alternative ?

Nous n’avons pas de filière organisée de la pièce d’occasion comme en Europe, et je ne m’opposerais pas à un recyclage des pièces prises sur les véhicules de notre parc, parce que l’environnement y gagnera. Je le précise parce qu’il me semble essentiel d’interdire toute importation de pièces d’occasion au Maroc, qui alimentent le marché de l’informel, évitent toutes les taxes et sont dangereuses pour les automobilistes, car il n’y a aucun contrôle possible.

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Votre actualité ?

Notre actualité est marquée par notre salon élaboré avec notre partenaire Monroe, pour leurs 100 ans, ainsi que Gates et Energizer. Nous en profiterons pour annoncer l’arrivée de nouveaux équipementiers dans notre portfolio comme Schaeffler, Sachs, Febi ou encore les pièces de suspension et direction de MONROE.

Propos recueillis par Hervé Daigueperce

Hervé Daigueperce
Hervé Daiguepercehttps://www.rechange-maroc.com
Rédacteur en chef d'Algérie Rechange, de Rechange Maroc, de Tunisie Rechange et de Rechange Maghreb.

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