Quand la casse joue les trouble-fêtes

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Très portés sur les économies, les automobilistes marocains ont tendance à préférer faire rénover leurs moteurs avec des pièces de réemploi plutôt qu’avec des produits neufs. Une particularité contre laquelle doivent se battre les équipementiers. La casse, un nouveau canal de distribution ?

En matière de pièces moteurs, le marché marocain est en demi teinte. Certes, on y vend et y achète de tout : pistons, segments, coussinets, chemises, pompes à eau et à huile, vilebrequins, culasses, arbres à came. « On y vend aussi, ajoute Régis Serrano, Directeur général de MS Motorservice France, de la soupape moteur, qui représente le gros du marché et, dans une moindre mesure, des blocs moteurs pour poids lourds ». Bref, au Royaume du Maroc, forcément, les équipementiers sont nombreux à batailler sur le marché de la pièce moteur. Côté véhicules légers, ce sont en premier lieu l’Allemand Mahle et l’Américain Federal-Mogul qui se disputent le marché. « Nous vendons principalement les coussinets Glyco, les pistons Nural, mais aussi les chemises et les segments Goetze, les pochettes de joints Payen et Goetze, sans oublier les soupapes et guides AE qui font partie de notre gamme ainsi que les arbres à cames AE », déroule Hamid Benchekroune, responsable du Maroc chez Federal-Mogul. Derrière se trouvent de grosses machines telles que Schaeffler – avec les marques LuK, INA et Fag qui englobent toute la palette des embrayages, boîtes de vitesse ou encore roulements de roue. « Sur le marché, nos meilleures ventes sont les embrayages LuK, vendus en pièces détachées ou sous forme de kits proposant des solutions complètes, ainsi que les volants bimasse LuK », précise toutefois Adèle Belloche, responsable marketing Moyen-Orient, Afrique et Turquie. Puis Bosch, Delphi, VEGE, MS Motorservice, etc.

Et pourtant, malgré cette longue liste de produits et de marques disponibles, les équipementiers avouent globalement qu’il est de plus en plus difficile de vendre de la pièce moteur au Maroc. D’abord parce que le parc automobile marocain est de plus en plus jeune, eu égard aux ventes de véhicules neufs, largement boostées par des offres de financement très alléchantes comme le crédit gratuit. « De fait, ces mêmes véhicules ne nécessitent plus des révisions moteur à des faibles kilométrages comme pour le parc ancien, grâce a des moteurs plus fiables, des lubrifiants de meilleur qualité. Mais aussi grâce à des utilisateurs plus conscients de l’importance de faire entretenir leur voiture régulièrement chez le concessionnaire, condition sine qua non pour maintenir la garantie qui peut, chez certains constructeurs, aller jusqu’à 5 ans », expose Hamid Benchekroune.

L’autre vivier de la pièce moteur

Ensuite parce que depuis quelques années, l’importation de véhicules de plus de 5 ans est interdite en territoire marocain. Et enfin parce que le marché marocain de la pièce moteur a une particularité qui lui est propre : il exploite, à fond, le système des casses. Une offre de pièces de réemploi imbattable en termes de prix qui a largement la préférence des automobilistes. Seule exception à cette règle, le joint qui, pour le coup, est de préférence acheté neuf. Et pour cause : il est introuvable en casse !

Un marché absolument pas du tout réfractaire à la pièce d’occasion donc, y compris pour ce qui concerne la partie moteur. Question de mentalité sans doute, car au Royaume du Maroc, on aime marchander, on aime réparer, on aime débusquer le prix qui fera la différence, au point d’ailleurs que, qui possède une Porsche n’ira pas forcément la faire réparer chez Porsche. Et la pièce moteur fait partie de ces éléments sur lesquels les garagistes n’hésitent pas à faire une ordonnance à son client, leur conseillant d’aller acheter telle pièce, à tel prix, chez untel, et se contentant, bien souvent, de simplement la monter. « D’où l’importance pour nous d’être toujours sur le devant de la scène même si l’on est moins concurrencé que sur certaines autres pièces, comme les balais d’essuie glace par exemple », constate Régis Serrano.

MS MOTEUR SERVICE segments

Des spécialistes sinon rien

Si les équipementiers ont donc maille à partir avec ces nouveaux canaux de distribution que sont les casses, il n’en reste pas moins que leur présence au Maroc est non négligeable. Mais le revers de la médaille, c’est que les importateurs doivent disposer d’un stock parfois gigantesque pour palier les délais d’importation des pièces. Concrètement, chaque importateur doit disposer d’au moins 2 ou 3 mois de stocks d’avance sur les 20/80. Une logistique qui n’est pas sans conséquence sur les spécialistes, ce type d’anticipation demandant des ressources en trésorerie très importantes. Las, certains acteurs ont dû capituler et les équipementiers n’ont d’autres choix que de s’appuyer sur des professionnels locaux qui distribuent des pièces techniques à forte valeur ajoutée, les pièces moteurs demandant, de fait, d’être plutôt spécialisé sur le sujet…comme en France, en somme. Moralité : « Les importateurs, s’appuient sur des réseaux de distributeurs qui ont une excellente connaissance technique et qui vendent sur un maillage local. Ils ont généralement rarement plus de 30 clients distributeurs », résume Eric Coquet, directeur général de VEGE France. D’ailleurs depuis peu, la distribution marocaine s’est considérablement professionnalisée et informatisée grâce, surtout, à l’implantation, sur le territoire, de structures hyper organisées comme l’Autodistribution.

Un marché de la rénovation

Qu’on se le dise : plus on répare, plus on cherche de la pièce et moins on s’oriente vers les concessionnaires. CQFD. Et pour cause, malgré un rajeunissement notable de l’ensemble du parc, les moteurs marocains font plusieurs milliers de kilomètres et sont plus vieux que ceux que l’on peut trouver en Europe. De fait, on répare plus que l’on ne change, ne serait-ce que parce que changer une pièce est forcément plus économique que de changer un moteur entier. Une particularité qui est principalement due aux systèmes des casses, certes, mais aussi à l’ouverture des frontières du Maroc aux produits d’occasion. « De fait, les distributeurs et garagistes ont beaucoup de matériel à proposer, à des prix intéressants. Le marché de l’échange standard ne fonctionne donc pas au Royaume du Maroc. « Échange standard » est même un terme dont ils ignorent l’existence », s’amuse Eric Coquet.

Mieux, d’après le constat de Federal-Mogul, les vendeurs de moteurs d’occasion proposeraient à leurs clients une solution assez inédite : « Ils leur vendent un moteur d’occasion supposé être importé d’Europe et reprennent leur moteur usé. La transaction peut se faire en quelques heures ». On comprend ainsi mieux pourquoi il est rare, au Maroc, qu’un particulier échange son moteur défectueux par un neuf, sauf, cas rarissime, lorsque ce changement est réclamé par le constructeur, sur des véhicules encore sous garantie.

Les marques chinoises peu sollicitées

Au Maroc comme ailleurs, la notion de marque a son importance. Les importateurs qui ont pignon sur rue, spécialistes de la pièce moteur pour la plupart, préfèrent, de loin, travailler avec des équipementiers dont la renommée n’est plus à prouver. « Ils recherchent ainsi la notoriété de la marque, mais aussi le packaging qui, visuellement, va tout de suite parler aux réparateurs. D’ailleurs, le fait de détenir une marque allemande offre une véritable valeur et une image de qualité indéniable », précise Régis Serrano. Ainsi, même si le marché marocain est largement porté sur le low cost, il n’en reste pas moins qu’il n’aime pas réellement dire qu’il a parfois recours à des marques chinoises. D’autant que la pièce moteur fait peur, le maintien et la sécurité des véhicules dépendant largement de sa qualité. Or, les marques chinoises ont ceci d’habituel qu’elles ne sont pas constantes : parfois de bonne qualité, parfois pas. Ainsi, le seul recours réel à la pièce moteur chinoise va davantage se trouver du côté des véhicules…chinois ! Car malgré la mise en place de quotas, les importations de véhicules chinois sont encore légion. De fait, les réparateurs auront tendance, en l’occurrence, à faire sur le moteur des réparations 100 % made in China. Exception faite des poids lourds. En effet, même un PL chinois est équipé d’un moteur allemand !

Conclusion  : « Les réparateurs sont de plus en plus nombreux à vouloir monter de la pièce d’origine car ils ont eu, auparavant, beaucoup de problèmes liés aux pièces chinoises. Ils reviennent donc davantage aujourd’hui vers de la pièce adaptable mais avec des équipementiers de deuxième ou de troisième rang », précise Eric Coquet. Certes, le marché marocain continue, et continuera probablement encore longtemps, même sur un marché aussi spécifique que la pièce moteur, de distiller çà et là quelques pièces exotiques et de contrefaçon. Mais ce genre d’écueil est loin de n’être réservé qu’aux seuls marchés d’Afrique du Nord. En France aussi, certains consommateurs préfèrent acheter du prix quitte à être beaucoup moins regardant sur la qualité. D’où cette ambivalence entre ceux qui consomment du « pas cher et pas qualitatif » et ceux qui ont été échaudés et qui préfèrent faire appel aux équipementiers de renom. « Globalement, les marocains sont tout de même très animés par les marques et c’est important pour eux. A nous, équipementiers, de valoriser cela et de valoriser notre marque », assène, comme un conseil, le directeur général de VEGE France.

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Hervé Daigueperce
Hervé Daiguepercehttps://www.rechange-maroc.com
Rédacteur en chef d'Algérie Rechange, de Rechange Maroc, de Tunisie Rechange et de Rechange Maghreb.

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