Salima Bendaoud, fondatrice et directrice générale de codispam

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Aucune interview ne ressemble à celle-ci. Salima Bendaoud, Fondatrice et Dirigeante de CODISPAM depuis 25 ans, se livre à coeur ouvert sur son entreprise, le marché de la pièce de rechange, et ce qui la motive dans son métier. Pas de langue de bois avec cette « dame de fer au grand coeur ». Ses mots fétiches : respect, mérite, et attention portée à chacun.
Rechange Maroc remercie Salima pour cette discussion libre et authentique.

« Il me semble essentiel de préserver notre marché, et de ne pas nuire aux intérêts de nos clients et fournisseurs simplement pour gagner plus »

Salima Bendaoud

Comment envisagez-vous votre management ?

Participatif, car personne ne détient le savoir absolu ! J’ai la chance d’être bien entourée et avant de pour prendre une décision stratégique, je consulte plusieurs personnes. Parmi elles, deux « sages » qui – même s’ils sont à la retraite -, sont toujours présents en tant que Consultants. Ils sont à mes côtés depuis trente ans ! Leur expérience, leur savoir, et leur résilience – acquise avec les aléas de vie de l’entreprise – sont des atouts précieux ! J’aime aussi intégrer les juniors dans l’entreprise et les voir grandir et évoluer. J’apprécie leur enthousiasme, leur énergie, leur adaptabilité, et leur facilité dans les domaines informatique et électronique. Nous sommes une entreprise qui peut sembler singulière ; car on sait mettre en valeur les atouts de chacun, sans problème de décalage générationnel !

En quoi, CODISPAM est-elle une société atypique ?

Je vous répondrais pour commencer qu’elle est pilotée par une femme – ce n’est pas si commun dans notre secteur ; et qu’elle comprend une majorité de femmes y compris dans les postes de Direction. En cela, nous sommes aussi atypiques ; car partout les femmes subissent « un plafond de verre » dans leur carrière, qui rend difficiles l’accès aux postes à responsabilités. A CODISPAM, nous ne fonctionnons pas en évaluant les personnes à partir d’apriori mais sur leur volonté et leur mérite. Chacun, quel que soit son parcours, sa culture, son âge, et son genre peut évoluer et réussir dans notre entreprise.

La crise sanitaire a rendu les conditions de travail plus difficiles. Tous les acteurs du marché ont souffert et la concurrence est devenue impitoyable. CODISPAM a réussi à « tirer son épingle du jeu » grâce à la confiance qu’elle a construite avec ses clients pendant vingt-cinq ans. Beaucoup me connaissent personnellement, et malgré mon caractère bien trempé, ils savent que je me soucie d’eux. Il faut dire que la pièce de rechange est mon élément naturel ! J’ai baigné dedans dès mon enfance, puisque mon père était déjà dans ce milieu.

Quand a été créée CODISPAM ?

J’ai fondé mon entreprise en 1999, après mon départ du Groupe familial. J’ai tout de suite opté pour une activité de distribution de pièces électriques, puisque j’avais acquis cette expertise au sein de l’entreprise familiale. Par la suite, j’ai ajouté, tout le consommable mais n’ai pas souhaité m’occuper de la pièce moteur, ou de la carrosserie. Elles relèvent, à mon sens, d’un métier à part. Nous ne faisons pas la batterie non plus. On ne peut pas tout faire dans la vie. Cependant, quand on décide de faire quelque chose, il faut le faire bien. C’est le chemin que j’ai choisi. C’est pourquoi, dans la pièce électrique, vous trouverez chez nous toutes les références dans ses moindres détails et toutes les gammes, françaises, allemandes, coréennes, etc. en VL, VUL et PL. Cela représente des stocks importants et de l’immobilisation financière, mais cela est constitutif du métier tel que je le conçois.

De combien d’établissements disposez-vous ?

Nous avons un point de vente qui est relayé par deux grands dépôts. C’est un choix stratégique. Multiplier les points de vente ne correspond pas à ma façon de travailler. Je ne voudrais pas qu’on me reproche de faire concurrence à mes propres clients en édifiant des points de vente partout. Mon rôle d’importateur consiste à pouvoir répondre à la clientèle par la disponibilité de la pièce. C’est pourquoi les dépôts me semblent correspondre davantage aux besoins des clients. Si j’opte pour les volumes, c’est pour offrir aux clients les meilleurs prix et le meilleur service. Je reste dans mon rôle, dans le respect du travail de chacun, et non dans la convoitise.

Comment opérez-vous au niveau de la logistique ?

Nous nous appuyons sur des transporteurs. Toutefois, dans un souci de répondre aux besoins spécifiques de nos clients, nous pouvons dans certains cas, livrer nous-mêmes pour un service optimal.

Cette période du Covid a généré beaucoup de réflexions chez tout le monde et surtout chez les chefs d’entreprise. Est-ce que ces moments difficiles vous ont conforté dans les choix que vous aviez pris ou au contraire incité à apporter des changements ?

Je me réjouis, en tout premier lieu, que CODISPAM ait réussi à traverser cette période extrêmement difficile pour tout le monde. Nous avons eu des retards de paiement élevés du fait du manque d’activité générale dû au confinement. Nous avons fait preuve de résilience et réussi à récupérer la quasi-totalité des montants dus. Cela a été un travail « d’équilibriste » assez délicat entre le soutien qu’on devait apporter à nos clients en ses temps compliqués et la nécessite de ne pas mettre en danger notre propre entreprise. La situation exigeait de passer le cap ensemble et c’est ce que nous avons fait. Déjà, le fait de s’en sortir indemne, s’apparente pour moi à une bénédiction.

Si je devais revenir à votre question, je dirais qu’on gère différemment depuis le Covid, en ayant cette période en mémoire et en travaillant comme si cela pouvait recommencer. Cela nous a engagés à nous montrer plus prudents. Je suis encore plus dans l’anticipation qu’avant et je gère comme une vraie « matriarche », avec la responsabilité qui va avec ! Ce qui m’importe, c’est que les personnes qui travaillent avec moi viennent le matin avec plaisir et qu’ils sentent qu’ils avancent en même temps que l’entreprise, qu’ils se voient progresser. C’est grâce à eux que l’entreprise avance, ne l’oublions pas ! Nous comptons 35 personnes chez CODISPAM.

35 personnes, c’est déjà beaucoup, comment fait-on pour trouver autant de gens professionnels ?

Ma priorité c’est la confiance, surtout dans un métier où le vol constitue un vrai problème comme dans la grande distribution. Une petite pièce électrique coûte cher et peut partir très vite. C’est pourquoi, la confiance envers ses collaborateurs doit être solide pour qu’on puisse travailler sereinement. Sans doute est-ce pour cela que je privilégie la formation en interne plutôt que le recrutement de personnes venant de l’extérieur. En général, ce sont des gens dont j’ai connu les parents ou dont la famille m’est familière, nous travaillons ainsi comme dans une grande famille. Je partage avec eux leurs joies et leurs tristesses et je partage ce qui se passe dans leur vie, j’essaie tout du moins. Ce que j’adore dans ce métier c’est de prendre quelqu’un qui démarre et le faire évoluer dans l’entreprise. Voir une personne progresser est très gratifiant. Donner sa chance à chaque individu est capital pour moi. Si mes équipes avancent c’est que j’ai démontré qu’on peut avoir une société qui est rentable, tout en se souciant de l’humain.

Comment travaillez-vous avec vos fournisseurs, quelle est votre politique en ce domaine ?

Je travaille depuis fort longtemps avec la plupart de mes fournisseurs avec qui je m’entends très bien.

En général, CODISPAM attend de ses fournisseurs d’être réactifs et de s’engager comme partenaires sur la durée. De son côté, CODISPAM défend la marque et le positionnement haut de gamme de ses fournisseurs. En tant que Dirigeante, je refuse une guerre des prix dont risque de pâtir mon fournisseur. C’est une position parfois difficile à tenir devant les équipes commerciales qui perdent des clients pour ces motifs, mais il me semble important de ne pas nuire au marché dans lequel on travaille, pour gagner un peu plus.

Quel est votre plus ancien fournisseur ?

C’est un fournisseur de coeur ! Il m’accompagne depuis le début pour la distribution des feux, qu’il fabrique au Portugal, c’est la société SIM. Son responsable qui a cru en moi dès le début, qui m’a fait confiance est devenu mon mentor, comme un deuxième père pour moi et je lui demande souvent conseil. Ce Dirigeant n’est pas qu’un simple homme d’affaires. C’est aussi un chef d’orchestre, un compositeur. Il possède également un journal, et d’autres activités. C’est le plus ancien et le plus important de mes fournisseurs, parmi lesquels il faut compter aussi Woking (plaquettes et disques de frein), ERA pour le matériel électrique, Sogefi (pour la filtration), Mahle etc. … Dans les rapports personnels, la chose que je ne tolère pas ; c’est qu’un fournisseur étranger s’adresse aux Marocains de manière hautaine, supérieure. Il n’y en a pas parmi les marques que je représente. Mais, il m’est arrivé d’en croiser. Qu’ils soient fournisseurs, revendeurs ou importateurs, s’ils n’ont pas d’éthique personnelle et de déontologie professionnelle, je refuse de collaborer avec eux.

Avez-vous été contacté par les groupements internationaux de distributeurs ?

Pas encore, mais CODISPAM est ouverte à cette possibilité. Faire partie de ces groupements internationaux est une opportunité d’échanges et de benchmark mutuellement intéressante.

Les groupements sont souvent attendus comme des animateurs de réseaux de garage, est-ce quelque chose qui vous attire ?

Nous nous intéressons aux garages car nous représentons depuis peu MPM, spécialiste hollandais de lubrifiants. Par ailleurs, nous sommes de plus en plus tourné vers ce marché par la nature des produits que nous commercialisons en consommables. Qui dit lubrifiants dit filtration, etc. Les garages sont donc une clientèle cible pour nous, en phase de croissance, pour les lubrifiants et produits complémentaires. C’est pourquoi, les groupements peuvent représenter une opportunité, justement dans le cadre des réseaux de garages.

Dans la même idée, les groupements proposent une marque de distribution, en avez-vous une chez CODISPAM ?

Cela m’a été proposé mais je ne voudrais pas court-circuiter mes propres clients et leur faire concurrence. Je préfère proposer deux types de produits à des tarifs différents, achetés auprès de fournisseurs de qualité pour offrir une alternative au premium plutôt que mettre dans une boîte à mon nom, un produit autre, qui risquerait d’être de moindre qualité. CODISPAM est intransigeant sur la qualité. Et le Maroc va dans ce sens en exigeant des normes drastiques de qualité sur les importations. On va même jusqu’à l’exagération quand on nous impose de pratiquer les mêmes tests à chaque arrivée de containers, comprenant des produits référencés depuis des années. Cela nous prend beaucoup trop de temps et représente un coût important. Mais je ne vais pas à l’encontre de l’exigence de la qualité, bien au contraire, ni à la lutte contre les contrefaçons et la contrebande. Il me semble qu’on pourrait trouver un système plus souple qui garantisse la qualité et la sécurité sans trop peser sur l’importateur.

Aimeriez-vous que vos enfants reprennent le flambeau ?

Ma fille est déjà engagée sur une autre voie, aussi je ne crois pas qu’elle soit intéressée, mais on ne sait jamais, l’avenir nous le dira ! En revanche, mon fils est champion de kart et fait parti de l’équipe marocaine en Formule 4 et il adore tout ce qui est voiture, karts, et autres véhicules. Cependant, mes enfants sont tournés vers l’international et ne se passionneront pour l’entreprise que si celle-ci est engagée à l’international d’une façon ou d’une autre. Ils feront leur choix, ils sont libres et je ne leur demanderai pas de rester au Maroc ou de reprendre l’entreprise si telle n’est pas leur envie.

La question sous-tendait celle-ci : est-ce que vous croyez en l’avenir de la rechange ?

Je suis convaincue que c’est un métier qui va encore se développer, se féminiser. Notre métier est un très beau métier, qui requiert un peu de technicité, de facultés de réflexion, mais je crois aussi que dans un métier d’hommes, c’est là où les femmes sont le plus mises en valeur. On lui reconnaît un certain mérite et ça fait chaud au coeur !

N’êtes-vous pas inquiète de la montée en puissance des nouvelles technologies et des répercussions que cela pourrait avoir sur les garages qui ne sont pas affiliés aux constructeurs ?

Il n’existe pas encore d’infrastructures de recharge suffisantes au Maroc et, en outre, le développement du véhicule électrique ne s’envisage actuellement qu’en ville. Par ailleurs, cela reste un produit de luxe. n

Hervé Daigueperce
Hervé Daiguepercehttps://www.rechange-maroc.com
Rédacteur en chef d'Algérie Rechange, de Rechange Maroc, de Tunisie Rechange et de Rechange Maghreb.

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